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Fleur décorative

Les classifications du savoir infirmier : de la théorie à la pratique, est-ce possible?

Texte intégral de l'allocution de Francine Fiset prononcée au premier congrès international des infirmières et infirmiers de la francophonie en novembre 2000. Le congrès était organisé par l'Ordre des infirmières et infirmiers du Québec.

Il me fait plaisir de vous communiquer mes réflexions par rapport à cette question.

En premier lieu, précisons que « théorie » origine du grec « theoria », qui signifie action d’observer et « pratique » originant du latin « practice » signifie : activités volontaires visant des résultats concrets. Plus souvent qu’autrement, on oppose la pratique à la théorie. Est-ce le cas en matière de classifications infirmières?

Les classifications actuelles des diagnostics infirmiers, interventions et résultats qui vous ont été présentées ce matin par mes collègues, enseignantes en soins infirmiers, sont accessibles et disponibles en anglais, bien sûr, mais aussi en français et dans d’autres langues.

Le transfert de ces classifications dans le domaine des langages informatisés fait actuellement l’objet de travaux aux États-Unis. L’existence de ces travaux conjoints entre infirmières et informaticiens nous a été confirmée lors de notre passage à la NANDA en avril 2000. Nous sommes donc dans une phase d’actualisation très pratique des savoirs infirmiers et nous pourrions dire que tout est possible et facile en ce début du XXIe siècle. En effet, les communications s’accélèrent au rythme de l’Internet, l’informatisation nous rejoint dans notre vie quotidienne, les outils électroniques évoluent rapidement. L’agenda électronique sera bientôt remplacé par le « palm ». Les infirmières peuvent commencer à rêver de visites à domicile avec portable, le dossier de leur patient étant informatisé. Le télénursing est à nos portes… mais du rêve à la réalité, quand est-il?

Dans un avis présenté au MSSS par l’OIIQ, au printemps de cette année, il était constaté, et je cite : « Que le domaine clinique constitue, dans un contexte de rareté d’infirmières et de réorganisation clinique, "l’enfant pauvre" du système de santé que l’intégration de la technologie pourrait grandement améliorer. Il faut donc soutenir la pratique clinique, qui par sa contribution essentielle constitue à elle seule 30 % des dépenses du réseau de la santé. Des outils supportant l’infirmière dans sa pratique quotidienne comme les plans de soins, les protocoles, les techniques de soins, les plans d’enseignement à la clientèle, des cheminements critiques de suivi de clientèles visées sont autant d’outils aidant à la prise de décision clinique. »

Alors, poser la question : Est-ce possible d’informatiser ces outils de travail au quotidien? Nous pouvons répondre oui… si les moyens financiers et techniques sont mis à notre disposition, et oui, si nous, infirmières, nous nous préoccupons d’assurer le transfert des savoirs infirmiers dans les systèmes informatisés qui seront utilisés dans nos milieux de soins. Les classifications infirmières constituent, à ce jour, les meilleurs instruments de transfert du savoir infirmier dans les banques de données informatisées.

Comment intégrer les classifications infirmières à la pratique clinique au Québec?

Première constatation, il faut d’abord s’approprier ces classifications.

La plus connue, celle des diagnostics infirmiers, concerne les problèmes de soins présentés par le patient. Bien que l’on puisse dire qu’il s’agisse d’une jeune nomenclature (par rapport à celle de la médecine), c’est la plus ancienne parce que les travaux qui la concernent remontent à la fondation de la NANDA en 1973. Cette classification est bien connue au Québec puisqu’elle a fait partie du programme d’enseignement collégial en soins infirmiers pendant près de vingt ans. C’est une classification vivante, en processus constant de création, révision et validation. On peut dire que les enseignantes en soins infirmiers et les étudiantes se sont appropriées cette classification. L’impact a certainement été de favoriser l’habileté à poser un jugement clinique en période d’apprentissage. Par contre, force nous est de constater qu’une fois la formation terminée, l’environnement de travail joue un rôle déterminant quant au maintien des acquis.

C’est pourquoi je dirais qu’il s’agit d’un second niveau d’intégration. Il reste beaucoup à faire à ce sujet et je vous invite à consulter le texte de l’avis présenté par l’OIIQ en avril dernier au MSSS. Tous les éléments de la problématique y sont présentés.

Si l’environnement de travail s’y prête, les infirmières deviennent plus à l’aise avec le vocabulaire des soins infirmiers. Je citerai à cet égard les conclusions d’une recherche canadienne publiée dans la revue Nursing Diagnosis. Cette recherche effectuée dans quatre hôpitaux de l’Ontario, sur une période de 5 mois auprès de 65 infirmières, portait sur les facteurs associés à l’utilisation des diagnostics infirmiers. Les auteurs constatent que l’utilisation de plans de soins informatisés favorise une plus grande utilisation des diagnostics infirmiers. Il existe donc des avantages à l’informatisation des soins, ce qui m’amène à répondre à la question suivante.

Quelle est la valeur ajoutée pour le patient, la profession et le système de santé?

D’une façon globale nous pouvons répondre que l’utilisation des classifications dans les banques de données informatisées suscitera, nous l’espérons, une plus grande cohérence du réseau de soins et sans doute une meilleure compréhension du travail de l’infirmière et de l’infirmier de la part des autres professionnels, ce qui devrait bénéficier au patient. Le travail des infirmières et des infirmiers sera davantage visible dans le système de santé. Il sera plus facile de faire valoir notre expertise.

Notre système de santé est public et gratuit et les soins infirmiers coûtent cher selon les statistiques. Nous pouvons observer que le coût des interventions médicales peut être facilement codifié. Les médecins sont conscients de la valeur ajoutée d’une évaluation clinique et d’une prescription mais peu d’infirmières et d’infirmiers peuvent dire la valeur d’une période d’enseignement de la médication au client ou d’une intervention auprès d’un enfant atteint de leucémie. Il en va bien sûr d’un changement de mentalité à cet égard car en général, le travail d’une infirmière ou d’un infirmier ne s’évalue pas à l’acte, un peu comme si tous les gestes posés s’équivalaient.

Un des obstacles reliés à l’introduction d’un langage normalisé informatisé est donc notre propre perception de la pratique infirmière. L’informatisation va-t’elle déshumaniser les soins ou au contraire valoriser le travail de l’infirmière ou de l’infirmier dans son expérience et son expertise?

En conclusion

L’informatisation représente une réalité incontournable. Toutes les sphères de la société sont touchées et nous nous en rendons compte tous les jours. Les soins infirmiers sont aussi touchés dans la pratique quotidienne. La technologie des communications informatisées est à nos portes et l’enjeu principal est de réaliser que nous devrons communiquer ce que nous faisons pour le bien-être de nos patients. Et nous devrons le nommer à notre façon. Les professionnels de l’informatique prendront ce que nous voudrons bien leur donner pour modéliser leur système d’information en santé. Au Québec, comme partout au Canada, les compagnies d’assurances et notre régie de l’assurance maladie ne prendront acte de notre présence dans leurs systèmes informatisés que dans la mesure où nous nommerons les problèmes que nous traitons ainsi que les interventions infirmières essentielles à la résolution des problèmes que nous identifions. Si nous ne relevons pas ce défi, nous serons invisibles et absentes des lieux de décisions importants en matière de santé.

Au Québec, notre défi réside principalement à sensibiliser les décideurs de nos institutions et les formateurs en soins infirmiers à la nécessité, sinon l’urgence de s’approprier ces instruments de communication que sont les diverses classifications en soins infirmiers. Il faut être conscient que nous y gagnerons et que notre participation est essentielle. Il s’agit d’un travail en constante progression et nous avons besoin de rallier toutes les infirmières et infirmiers préoccupé(e)s par la compréhension des phénomènes observés et répertoriés par les infirmières, infirmiers, praticiennes, praticiens et chercheuses et chercheurs.

Dans ce domaine, la recherche et l’expertise clinique se rejoignent et le défi consiste à travailler ensemble dans la même direction. Les jeunes infirmières et infirmiers ont besoin de sentir que nous voulons entrer dans le vingt-et-unième siècle avec les moyens adéquats pour leur permettre de relever les défis qui les attendent.

Et finalement, l’univers francophone nous interpelle aussi et nous avons le souci, tout comme nos collègues européennes, de trouver les bons mots pour dire les soins infirmiers. Ce défi à l’ANADIM, nous l’avons relevé en collaborant à la traduction de l’édition 1999-2000 de la classification de la NANDA publiée chez Masson. C’est un pas de plus pour mieux nous connaître et nous comprendre.

Francine Fiset
Présidente
AQCSI
22 novembre 2000